2013年2月19日 星期二

* Artisanat UN STRADIVARIUS MADE IN TAIWAN (法文)

Artisanat  UN STRADIVARIUS MADE IN TAIWAN (法文)

Jim Hwang

PHOTOS DE HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW

Une blessure a brisé le rêve de Chiao Chung-hsing de devenir artiste lyrique mais lui a ouvert une carrière de luthier

Dans un petit atelier au 8e étage d’un immeuble du sud de Taipei, Chiao Chung-hsing [焦中興], 49 ans, sculpte une pièce d’épicéa depuis déjà deux heures. Le travail continuera pendant deux jours encore, avant que le bois ne prenne la courbe et l’épaisseur voulues pour une caisse de résonance de violon, qui sera collée aux autres parties de l’instrument, réalisées pour la plupart en érable. « Le meilleur bois pour la caisse de résonance est l’épicéa des Alpes italiennes, et l’érable de Yougoslavie est parfait pour les autres pièces, dit le luthier. Les conditions atmosphériques, le procédé de séchage et de nombreux petits détails font toute la différence. »




Cela fait 20 ans que Chiao Chung-hsing fabrique des violons. Son entrée dans la profession, cependant, fut complètement fortuite. Après avoir été choriste à l’église pendant son enfance, il décida de faire carrière dans le chant et entra à l’Institut national des arts de Taiwan (devenu l’Université nationale des arts de Taiwan, à Banqiao), où il se spécialisa en art lyrique. Il était doué et, avec sa belle voix de baryton, fut encouragé à parfaire sa formation à l’étranger après l’obtention de son diplôme. « A Taiwan, les chanteurs lyriques, surtout les hommes, n’ont jamais été considérés comme de véritables artistes. La demande pour ce type d’interprètes est faible, avec peu d’opportunités d’emploi, explique-t-il. Mais j’étais passionné et pensais que prolonger mes études en Italie pourrait au moins m’assurer un poste d’enseignant à l’université à mon retour, alors j’ai décidé de tenter ma chance. » En 1986, après quatre années de travail comme représentant d’une compagnie de fret aérien, il parvint à économiser assez pour acheter deux billets d’avion en aller simple pour Milan, pour lui et son épouse.


La vie milanaise

En Italie, les examens d’entrée aux écoles d’art lui parurent faciles et les frais d’inscription minimes, mais il en allait autrement du coût de la vie à Milan. Les 1 500 dollars américains dont le couple disposait suffirent tout juste à louer un appartement et à acheter le strict nécessaire. Sans soutien financier de sa famille et parlant peu l’italien, la meilleure solution pour gagner quelque argent était de devenir serveur dans un restaurant chinois. « Malgré tout, j’ai parfois dû compter sur les restes en cuisine pour rapporter à manger à la maison », se rappelle-t-il.

Les temps se firent encore plus durs pendant la grossesse de son épouse. Prêt à tout pour augmenter ses revenus, il accepta des travaux pénibles qui lui brisèrent le dos. Le traumatisme était si sérieux qu’il ne pouvait se tenir debout longtemps, sans même parler de monter sur scène pour chanter. Pire, les médecins lui annoncèrent bientôt que les chances d’une guérison complète étaient minces. « Ma mère, en pleurs, me demanda de rentrer à la maison, se remémore Chiao Chung-hsing. Soit je rentrais sans rien, comme un perdant, soit je restais et essayais de faire autre chose. »

Il se souvint alors de l’Ecole internationale de lutherie Antonio Stradivari, à Crémone, dans le nord de l’Italie, où il avait rendu visite à un étudiant taiwanais lors d’un premier séjour dans le pays. Chiao Chung-hsing avait toujours été fasciné par cet artisanat mais, jusque là, happé par sa passion pour l’art lyrique, il n’avait jamais envisagé sérieusement une carrière dans ce domaine. « C’était lié à la musique et cela semblait intéressant », dit-il.

Chiao Chung-hsing à l’ouvrage sur un violoncelle. L’artisan apprécie le travail en solitaire.

Son inexpérience du travail du bois n’entrava pas son admission au programme sur quatre ans dispensé par l’école Stradivari, conçu pour changer les « illettrés » du violon en de véritables artisans. Une fois le cursus achevé, cependant, les diplômés étaient tenus de passer un examen national pour l’obtention d’un diplôme officiel de luthier. Après s’être familiarisé avec les outils du luthier, Chiao Chung-hsing n’eut besoin que de quelques mois pour achever son premier violon. Il le présenta à un concours local, mais son instrument y fut éliminé dès le premier tour.


Les secrets des maîtres

Au lieu de se décourager, il redoubla d’efforts. En plus de ses cours, il commença à visiter les ateliers de maîtres-artisans, espérant que ces derniers partageraient avec lui leurs secrets. Au cours de sa deuxième année à Crémone, il eut ainsi l’opportunité de rencontrer le luthier Francisco Bissolotti. « Vous ne savez pas ce que parfait veut dire avant d’entrer dans son atelier », dit Chiao Chung-hsing, se souvenant du frisson qu’il ressentit alors.

Quand il comprit le motif de la visite du jeune homme, Francisco Bissolotti demanda à voir un exemple de son travail. « En gros, il m’expliqua que la distance culturelle entre Taiwan et l’Italie était trop grande pour que je puisse appréhender parfaitement la fabrication de ce type de violon, dit-il. Mais il fut assez aimable – ou diplomate – pour me demander de lui montrer mes réalisations suivantes, de manière à pouvoir me donner son avis. »

Après avoir pris congé de l’artisan, le Taiwanais essaya immédiatement d’appliquer certaines des techniques qu’il venait de découvrir ; puis il rapporta au maître le fruit de son travail. La facture de l’instrument n’impressionna probablement pas l’Italien, mais l’enthousiasme du jeune homme, certainement. Les années suivantes, la même passion poussa ce dernier à visiter les ateliers d’autres artisans tels que Giorgio Ce et Giobatta Morassi. Les progrès furent rapides.

Chiao Chung-hsing explique que le son d’un violon dépend de sa forme, du bois dont il est fait, du profil de sa tête et de son dos, et du vernis qui enduit sa surface externe. Une imperfection mineure dans l’un de ces domaines ou un défaut de fabrication peut tout gâcher. « Plus je me plongeais dans cet art, plus j’étais fasciné, dit-il. Une vie ne suffit pas pour tout connaître de la lutherie. »

Ce violon a valu à Chiao Chung-hsing la médaille d’argent dans une compétition aux Etats-Unis, en 1992. Il l’a depuis donné à sa fille violoniste.


Honneurs internationaux

Le dur travail finit par payer en 1991, quand le jeune homme prit la 16e place parmi 200 concurrents à la Compétition internationale de lutherie Antonio Stradivari, à Crémone. Baptisé ainsi en hommage au célèbre luthier, c’est le concours international le plus important de la profession. A ce jour, Chiao Chung-hsing reste le seul Taiwanais à y avoir remporté un prix.

En 1992, il termina son cursus à l’école de lutherie avec les meilleures notes de sa classe, puis passa l’examen national italien pour devenir un maître artisan certifié. Il envoya l’un de ses violons aux Etats-Unis pour une autre compétition internationale d’envergure, organisée par la Société du Violon d’Amérique, et remporta la médaille d’argent dans la catégorie du timbre de violon. Aucune médaille d’or ne fut attribuée dans cette catégorie cette année-là.

Cette médaille d’argent est également la plus haute distinction décernée à un luthier taiwanais dans une compétition internationale. Le violon qui a remporté ce prix est maintenant utilisé par la fille aînée de Chiao Chung-hsing, qui étudie l’instrument à l’Université nationale des arts de Taiwan.


Chiao Chung-hsing explique que la seule manière de décrire un timbre ou une voix est d’utiliser des adjectifs – puissant, élégant, riche, et ainsi de suite –, procédé très subjectif. « Chaque artisan en donne sa propre interprétation dans les violons qu’il fabrique, ce qui le rend – tout comme chacun de ses violons – unique », dit-il.

A l’étranger, les récompenses importantes sont généralement l’occasion de rentrées d’argent. Après cette médaille, on lui proposa de travailler pour une société américaine vieille de plusieurs siècles, mais il déclina l’offre et retourna à Taiwan pour prendre soin de sa mère.


Bizarreries du marché

A Taiwan, les prix obtenus à l’étranger ne se traduisirent malheureusement pas par une floraison des affaires. « L’île a probablement la plus forte densité au monde d’élèves violonistes, mais pas un n’utilise un violon fabriqué localement, regrette Chiao Chung-hsing. Les débutants jouent sur des violons chinois bon marché, à partir de 3 000 dollars taiwanais pièce, et à l’université, les violonistes achètent des instruments italiens faits main, qui coûtent au moins 400 000 dollars l’unité, dit-il. Mais il n’y a pas de marché intermédiaire. »

Cinq Taiwanais ont achevé le cursus de l’école Stradivari de Crémone, mais il reste le seul à exercer encore. Les autres, soit réparent les violons, ce qui est assez lucratif, soit les vendent, ce qui l’est plus encore.

Quand il retourna à Taiwan, puisque la demande de violons artisanaux fabriqués localement était si faible, Chiao Chung-hsing pensa se lancer dans le commerce d’instruments importés. Il connaissait les violons, savait où s’approvisionner et il existait un marché établi, donc cela aurait été de l’argent facile. Le seul problème est que cela lui aurait rappelé son expérience de représentant de commerce. « Vendre des violons ou des services de fret aérien, c’est la même chose, dit-il. Bien souvent, il faut exagérer les choses ou même tordre la vérité pour parvenir à conclure la transaction. Et je n’aime vraiment pas ce sentiment que tout repart à zéro après chaque vente. »

Les opportunités se faisant rares, Chiao Chung-hsing travailla brièvement en Chine continentale pour une fabrique de violons à capitaux taiwanais. « Essentiellement, il s’agissait d’un groupe de fermiers qu’on avait recrutés pour assembler des pièces de violon en bois de qualité médiocre, raconte-t-il. Je ne pouvais pas diriger les ouvriers ni améliorer la qualité des produits, donc il n’y avait aucune raison de rester. »


Une réputation grandissante

Chiao Chung-hsing retourna à Taiwan et gagna sa vie en réparant des violons, établissant peu à peu une réputation et des relations au sein du marché local. Les louanges du violoniste de renommée internationale Lin Cho-liang [林昭亮], qui avait essayé l’un de ses violons, aidèrent aussi les affaires. La lutherie, cependant, prend beaucoup de temps, ce qui limite les possibilités commerciales. Il faut six mois pour achever un violon – un mois pour fabriquer l’instrument et cinq pour faire sécher la colle et le vernis. En travaillant sept heures par jour, Chiao Chung-hsing livre maintenant six à sept violons par an. La liste d’attente pour l’un de ses instruments dépasse actuellement deux ans.


En plus de réparer de vieux violons et d’en fabriquer de nouveaux, il enseigne également l’art de la lutherie – un à-côté qu’il a développé par hasard il y a dix ans environ, lorsqu’un père de famille lui envoya les violons de ses filles pour entretien. L’homme lui demanda pourquoi les violons italiens faits à la main étaient si chers et voulait tout connaître de la lutherie. Aujourd’hui, un apprentissage avec Chiao Chung-hsing revient à 280 000 dollars, ce qui est à peu près le prix d’un de ses violons. Après avoir réalisé son propre violon sous la direction de Chiao Chung-hsing, le père de famille considéra qu’il était d’aussi bonne ou même de meilleure facture qu’un violon importé. « Les gens supposent à tort que tout violon qui n’est pas fabriqué en Italie est de qualité inférieure », dit Chiao Chung-hsing. Plus tard, l’homme laissa tomber sa carrière d’ingénieur électrique et monta son propre commerce de lutherie. « Plus les gens connaissent le métier, plus ils savent apprécier les violons de qualité et relativiser certains “mythes” entourant les violons italiens, dit-il. Peut-être qu’un jour, un violoniste taiwanais de renommée mondiale jouera pour un public international sur un violon fabriqué dans l’île. »


La plupart de ses autres apprentis sont des amateurs. Les cours ne sont pas limités dans la durée, donc les étudiants peuvent prendre tout le temps qu’ils veulent pour terminer leurs violons. La plupart du temps, cependant, Chiao Chung-hsing est seul dans l’atelier, en train de ciseler, poncer ou vernir une pièce de bois. « C’est un travail solitaire, dit-il d’une voix joyeuse, et il se trouve que j’apprécie cela. » ■

沒有留言: